Sort des loyers et charges en période de crise sanitaire

 

 

L’épidémie de Covid-19, outre l’aspect sanitaire, engendre des conséquences particulièrement graves au niveau économique et se posent diverses questions concernant notamment l’obligation du preneur de régler les loyers et charges.

Le gouvernement a pris récemment un certain nombre d’ordonnances permettant d’apporter quelques éléments de réponse (1).

La question doit également être appréciée au regard du Code Civil et notamment des obligations contractuelles classiques des parties, hors dispositions législatives ou réglementaires spécifiques (2).

Les mesures prises par l'État au titre des Ordonnances du 25 mars 2020

L’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020

Elle prévoit à son article 4 :

  • Qu’un certain nombre de personnes morales ou physiques,
  • Ne peuvent encourir de pénalités financières, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire,
  • En raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à des locaux professionnels ou commerciaux
  • Pour les sommes dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de 2 mois après la date de cessation de l’état d’urgence.

Elle renvoi, pour son application, à un décret précisant les seuils d’effectifs et de chiffres d’affaires des personnes concernées, ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constaté du fait de la crise sanitaire.

Ainsi, peuvent bénéficier de ces dispositions, les personnes physiques et morales de droit privé, exerçant une activité économique, qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité[1]. Ces personnes sont mentionnées aux articles 1 et 2 du Décret du 30 mars 2020 n°2020-371

Article 1: Les entreprises doivent remplir les conditions suivantes

  • Avoir débuté leur activité avant le 1er février 2020
  • Ne pas avoir déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 ;
  • Avoir un effectif inférieur ou égal à dix salariés (seuil est calculé selon les modalités prévues par le I de l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale) ;
  • Constater lors du dernier exercice clos, un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros (Pour les entreprises n'ayant pas encore clos d'exercice, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros) ; 
  • Le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l'activité exercée, ne doit pas excéder 60 000€ au titre du dernier exercice clos. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant est établi, sous leur responsabilité, au 29 février 2020, sur leur durée d'exploitation et ramené sur 12 mois ;
  • Les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne doivent pas être titulaires, au 1er mars 2020, d'un contrat de travail à temps complet ou d'une pension de vieillesse et ne pas avoir bénéficiées, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d'indemnités journalières de sécurité sociale d'un montant supérieur à 800 euros ;
  • Ne pas être contrôlée par une société commerciale au sens de l'article L. 233- 3 du code de commerce ;
  • Lorsqu'elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, la somme des salariés, des chiffres d'affaires et des bénéfices des entités liées doivent respectent les seuils fixés aux 3°, 4° et 5° ;
  • Ne doivent pas avoir été, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l'article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité. Les entreprises exerçant des activités dans le domaine de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles ne peuvent céder, en tout ou partie, à des producteurs primaires les aides prévues aux articles 3 et 4.

Dans le présent Décret, la notion de chiffre d'affaires s'entend comme le chiffre d'affaires hors taxes ou, lorsque l'entreprise relève de la catégorie des bénéfices non commerciaux, comme les recettes nettes hors taxes.

Article 2 : les entreprises concernées par les aides financières

Les aides financières prévues à l'article 3 prennent la forme de subventions attribuées par décision du ministre de l'action et des comptes publics aux entreprises mentionnées à l'article 1er du présent Décret qui remplissent les conditions suivantes :

1° Elles ont fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;

2° Ou elles ont subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020,

Jusqu’à très récemment, les articles 1 et 2 étaient alternatifs : Pour pouvoir bénéficier d’une protection, le preneur devait justifier, soit de remplir les conditions de l’article 1, soit de remplir celles de l’article 2.

Cependant le Décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 est venu préciser l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 et les bénéficiaires de l’ordonnance loyers ont été réduits substantiellement

L’article 1 précise : « Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 de l’ordonnance n°2020-316 susvisée les personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, remplissant les conditions et critères définis aux 1° et 3° à 8° de l’article 1er et aux 1° et 2° de l’article 2 du décret n° 2020-371 susvisé. »

  • Par conséquent les critères qui étaient jusqu’alors alternatifs deviennent cumulatifs. La neutralisation des sanctions pour non-paiement des loyers concerne désormais les preneurs respectant à la fois :
  • Les conditions et critères définis aux 1° et 3° à 8° de l’article 1er du décret du 30 mars 2020 n°2020-371 (cf. ci-dessus),
  • Et celles prévues aux 1° et 2° de l’article 2 du même décret (interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et perte de chiffre d'affaires d'au moins 70 %)
  • Les conditions permettant de bénéficier du statut protecteur sont strictes et peu de locataires devraient pouvoir bénéficier de cette disposition.

L’article 2 précise que les personnes justifiant remplir les conditions du décret doivent :

    • Produire déclaration sur l’honneur attestant le respect des dispositions réglementaires et l’exactitude des informations déclarées,
    • Présenter l’accusée réception du dépôt de leur demande d’éligibilité au fonds de solidarité.

En synthèse

  • Si le locataire respecte l’ensemble de des conditions cumulatives énumérées, et produit les éléments de l’article 2 au bailleur, il ne peut encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives au titre des sommes dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de 2 mois après la date de cessation de l’état d’urgence .
  • L'état d'urgence a été déclaré pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, (date de publication de la loi du 23 mars 2020). La cessation de l’état d’urgence interviendra a priori, sous réserve des évolutions, le 24 mai 2020, et la période protégée ira jusqu’au 24 juillet 2020.
  • Il est cependant constant que les loyers et charges restent exigibles. Le texte interdit, uniquement, pour les preneurs éligibles, aux bailleurs, de mettre en œuvre notamment une clause résolutoire ou de réclamer une indemnité ou des dommages-intérêts pour retard de paiement.
  • Par conséquent le bailleur ne peut pas faire délivrer aux preneurs éligibles un commandement de payer avec rappel de la clause résolutoire pour les sommes dues pendant cette période entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de 2 mois après la date de cessation de l’état d’urgence, soit a priori pour le moment jusqu’au 24 juillet 2020.

 

L’Ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-306

Elle concerne la prorogation des délais.

Au terme de l’article 4

Il est prévu en ce sens que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.

Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme.

Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales ayant pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er.

Au terme de l’article 1

Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée.

Par conséquent les clauses résolutoires et les commandements de payer ne peuvent produire d’effet qu’un mois après la fin de cette période juridiquement protégée soit à compter du 24 juin 2020.

Cette disposition réglementaire s’applique à tous types de locataires.

Les loyers et charges sont exigibles, mais les bailleurs ne peuvent pas engager de commandement de payer avec rappel de clauses résolutoires.

Bien entendu le texte n’interdît pas d’engager une action en paiement, cependant encore faudrait-il que les juridictions fonctionnent et en toute hypothèse les tribunaux seront enclins à accorder des délais de paiement significatifs.

Les dispositions législatives classiques du droit des contrats

Indépendamment des dispositions réglementaires découlant des ordonnances évoquées supra, il convient de rappeler que le Code Civil contient un certain nombre de dispositions législatives qui pourraient éventuellement être mises en avant par les preneurs, et notamment la force majeure[2], et la théorie de l’imprévision[3].

A titre de remarque, l’utilisation de l’exception d’inexécution par les preneurs, dans le contexte actuel, n’est pas possible, puisque l’inexécution ne découle d’aucun manquement fautif bailleur[4].

La force majeure

L’article 1218 du Code Civil dispose :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.

Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

Les conditions classiques de la force majeure

Ces conditions ne sont pas simples à remplir.

En effet, le preneur devra établir que l’épidémie est :

  • Un élément irrésistible,
  • Inévitable dans sa survenance,
  • Insurmontable dans ses effets quant au paiement du loyer.

Or, à titre d’exemples :

  • Concernant la grippe aviaire, la cour d’appel de Toulouse a récemment rendu une décision en matière de grippe aviaire et sur les mesures de confinement en découlant, considérant que la situation ne pré constituait pas un caractère irrésistible susceptible de constituer un cas de force de majeure justifiant le non-paiement du loyer[5],
  • Concernant le virus Ebola, la cour d’appel de Paris a considéré que ce dernier n’avait pas rendu impossible l’exécution des obligations et ne pouvait donc pas constituer donc un cas de force majeure[6],
  • Concernant l’épidémie de Dengue, considérée récurrente et de ce fait prévisible[7].

Concernant la crise sanitaire à laquelle nous faisons face, il est possible que la force majeure ne soit pas applicable, non seulement en raison des jurisprudences antérieures mais également car elle ne rend pas toujours absolument impossible l’exécution de l’obligation mais la rend plus difficile[8].

Par ailleurs, la Cour de Cassation a clairement indiqué récemment que le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure, (Cassation Commerciale 16 septembre 2014 n°13-20.306).

La Cour de Cassation a donc restreint le champ d’application de la force majeure aux obligations de faire et de donner, en excluant l’obligation de payer une somme d’argent.

Ainsi, il pourrait être soutenu que le preneur serait mal fondé à invoquer un cas de force majeure pour justifier le non-paiement de son loyer.

De toute évidence, une analyse au cas par cas sera nécessaire[9].

Concernant les locaux commerciaux

Se pose la question des locaux commerciaux frappés par l’arrêté interdisant leur ouverture, (par exemple : commerce non-alimentaire).

Dans cette hypothèse, la fermeture du local commercial est administrative, le preneur pourrait :

  • Invoquer un cas de force majeure,
  • Considérer que le bailleur ne satisfait pas à son obligation de délivrance[10] et ne permettant pas à son locataire d’exploiter son activité. Cela pourrait justifier le non règlement du loyer au titre de l’exception d’inexécution[11].

Ces hypothèses doivent être nuancées :

  • Tout d’abord, la fermeture administrative des locaux ne relève pas d’une décision des bailleurs :
    • La jurisprudence est venue précisée l’obligation du bailleur au titre de la jouissance paisible de la chose louée qui n’est pas applicable au cas de force majeure[12],
    • Cependant eu égard au contexte sanitaire la jurisprudence pourrait peut-être évoluer dans un sens défavorable aux bailleurs,
  • Enfin, il ne faut pas oublier que les parties restent libres d’aménager contractuellement dans les baux certaines dispositions :
    • Elles peuvent y intégrer des clauses relatives au cas de force majeure.
    • Il faudra donc analyser les baux pour apprécier leurs contenus à ce titre (cf supra, sur l’imprévision et la renégociation du contrat).

L’imprévision

Par principe, l’article 1195 du Code civil dispose :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation »

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation.

A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.

Tout d’abord, cette disposition législative nouvelle découle de la réforme des droits des obligations de 2016, par conséquent l’article 1195 n’est applicable qu’aux contrats conclus après le 30 septembre 2016.

Par ailleurs, le preneur doit donc établir :

  • Un changement de circonstances imprévisible au moment de la conclusion du bail
  • Ces circonstances rendent l’exécution du contrat excessivement onéreux.

Si ces conditions sont remplies les parties ont l’obligation de renégocier et à défaut d’accord le tribunal pourrait être saisi.

En matière de baux commerciaux, cette application reste néanmoins à nuancer. En effet, l’article 1195 du Code Civil sur l’imprévision et la renégociation des contrats a une portée limitée face aux textes spéciaux relevant des baux commerciaux.[13]

A nouveau, une analyse au cas par cas est essentielle.

Difficultés liées au COVID-19

A priori l’épidémie pourrait constituer un changement de circonstances imprévisibles sauf si le bail a été signé il y a quelques jours.

Le preneur devra prouver que cette circonstance rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour lui… C’est bien là la difficulté.

La jurisprudence confirme la réticence du juge judiciaire à faire application du pouvoir de révision qui lui est accordé par les textes.

Cette disposition législative étant très récente et à défaut de jurisprudence établie, il convient malheureusement d’attendre les décisions qui pourraient être rendues en la matière, tout en précisant que le preneur pourrait avoir des difficultés à faire valider la théorie de l’imprévision pour imposer à son bailleur une renégociation du contrat.


[1] Article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020.

[2] Article 1218 du Code civil,

[3] Article 1195 du Code civil

[4] Cass. 3e civ., 12 juin 2001 : JurisData n° 2001-010209.

[5] Cour d’Appel de Toulouse 3 octobre 2019 n°19/01579

[6] Cour d’appel de Paris, Pôle 1, Chambre 3, Arrêt du 29 mars 2016, Répertoire général nº 15/05607

[7] Cour d’appel de Nancy, 1ère Chambre civile, Arrêt du 22 novembre 2010, Répertoire généralnº 09/00003.

[8] Cass. soc., 25 févr. 1954 : Bull. civ. IV, n° 107, Droit des contrats - Contrats : la force majeure et l’imprévision remèdes à l’épidémie de covid-19 ? - Etude par Charles-Édouard Bucher - Contrats Concurrence Consommation n° 4, Avril 2020, étude 5.

[9] J. Radouant, Du cas fortuit et de la force majeure : thèse, Paris, 1920, Arthur Rousseau, 1920, p. 13.

[10] Article 1719 du Code Civil

[11] Article 1220 du Code Civil

[12] Cassation Civile 3èmeChambre 29 avril 2009 n°08-12.261

[13] Cour d’appel, Versailles, le 12 Décembre 2019.


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